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Sujet délicat dans la galaxie parentale, la constellation DézéKran concerne la plupart des éducateurs de notre monde occidental. Partons explorer les raisons des inquiétudes parentales : sont-elles réalistes ou pas ?

Le roi pixel : un inquiétant tyran

Le roi Pixel inquiète. Né en 1880 sur un premier écran, tout petit, tout chétif, il se drapait déjà dans son habit tricolore.
Timide, il vivait chichement sur quelques écrans. Puis son royaume s’agrandit : un premier Versailles fut la télévision ; il commença alors à envahir les foyers.

Nourri des regards et de l’attention qu’on lui portait, infatigable glouton scintillant, il gagna progressivement de multiples supports.
Tyran de l’attention, le roi Pixel et sa descendance sont désormais omniprésents. Sans arme violente, à part celles des jeux vidéos, ils sont lancés dans une quête sans fin : celle de l’attention et la concentration. Impitoyables Pacmans gloutons !

Est-ce pour cette raison que les pixels inquiètent autant les parents ?

Des sources d’inquiétudes diverses

Effectivement le roi pixel et ses armées d’écrans ont changé la donne pour les parents modernes. Entre inquiétudes irrationnelles ou justifiées, entre ambivalences et paradoxes, il est difficile de faire un tri rationnel dans les appréhensions parentales.

Écart de génération et mauvaise image médiatique

Un article du monde soulignait récemment certaines des raisons qui sous-tendent ces appréhensions :

  1. L’écart générationnel entre parents et enfants. Beaucoup d’adultes ont du mal à comprendre que leurs enfants soient entièrement greffés au numérique alors qu’eux ont été élevés sans le numérique. Du coup, les adultes ont parfois cette impression que les écrans sont en train de créer une génération de « débiles ». Un peu comme les précédentes générations allaient taper sur le rock, les jeux de rôle ou les mangas par exemple.
    Si vous faites partie de ceux qui pensent que les jeunes sont des crétins qui consomment des écrans de façons bêtes, allez donc vous draper d’un peu de bienveillance et de confiance en modélisant Samuel Etienne!
  2. La diabolisation des écrans par une partie des experts. Les titres racoleurs de certains livres ont aggravé la perception négative des parents. Dans une société où la culture du clash crée le buzz et le click, le titre qui inquiète ou qui déclenche la polémique se vend bien. Un titre comme « La fabrique du crétin digital » renforce les croyances des parents déjà convaincus de la soi-disant dangerosité des pixels.

Dégradation de la qualité des liens

D’autres raisons ne sont pas évoquées ou abordées dans l’article.
Parce que j’étudie et travaille avec le paradigme de l’attachement depuis des années, je suis certaine que nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences, sur les générations futures, du temps passé dans les constellations DézéKran, notamment lorsqu’il s’agit de la qualité du lien interpersonnel :

  • Pour se construire, l’enfant a besoin d’un lien de qualité avec une figure d’attachement ,d’une réponse de la part d’un parent à ses demandes et ses appels.
    Paradoxe de parents : nous passons un temps considérable sur les écrans, n’entendant parfois pas les appels de nos tout-petits. Qu’en est-il des enfants laissés de plus en plus tôt devant des écrans sans présence du parent ?
    De tablettes en smartphones, le parent n’est pas toujours valeur d’exemple dans la relation aux écrans.
  • Parfois même, nous confions nos enfants au Roi Pixel pour quelques minutes de tranquillité. C’est si facile. Cessons nos cris d’orfraies, nous l’avons tous fait, moi la première : « allez hop, télétubbies ! J’en peux plus, j’achète quinze minutes de tranquillité ».
    Ainsi, au fil des années, d’absences en négligences, l’enfant grandit et le risque d’altération d’un lien de qualité s’accroît.
    Les parents se mettent à craindre que le Roi Pixel les détrône. À raison ! Le temps passé devant les écrans a grignoté un temps de qualité en conexion aux figures parentales, à travers des échanges, des conversations, des expérimentations, des jeux de société ou d’autres activités.
  • Enfin, au fil du temps, le jeune va construire des liens et intégrer des communautés sur les réseaux sociaux. C’est ce que Gordon Neufeld[mfn]Psychologue Canadien , spécialiste du Paradigme de l’attachement[/mfn] appelle le Peer Attachment : l’attachement aux pairs. Le Roi Pixel a détourné le jeune de ses figures premières d’attachement pour le lier à d’autres communautés de son âge qu’il va modéliser. Comment s’étonner alors que parfois, nos adolescents passent autant de temps sur leurs écrans. Sont-ils plus attachés à leur écran et aux communautés qui les peuplent qu’à nous ?

De vrais risques et dangers :

Enfin restent les inquiétudes liées à des risques réels :

  • Les cas d’addiction aux écrans avec tous les risques associés. Le roi Pixel est gourmand : il est conçu dans certaines applications pour être addictif.
  • Les cas de cyber-harcèlement
  • L’exposition à des contenus inappropriés pour les différents âges.
  • Les risques de rencontres dangereuses

Certes ces risques sont réels, mais je ne suis pas certaine qu’ils soient plus graves que les effets insidieux de la perte du lien de qualité avec un adulte référent et que le racket de notre attention.
Par ailleurs, ces risques sont qualifiés, nommés : nous y portons de plus en plus d’attention. Alors que peu de personnes alertent sur l’altération des liens

Vers une prise de conscience des enjeux ?

Je rejoins la psychologue interviewée dans l’article cité ci-dessus : « on ne peut pas continuer à taper dessus en considérant que le numérique serait une sorte de bulle à part qui est venue empiéter sur nos vies. Quand on comprendra ça, on aura fait un pas de géant dans l’accompagnement et la prévention du numérique. »

Effectivement à quoi bon s’inquiéter, s’offusquer si nous n’identifions pas les enjeux ? ET les avons-nous vraiment identifiés ? Je ne le crois pas : la plupart des parents avec lesquels je discute n’ont pas mesuré les risques relatifs à l’altération du lien avec un adulte référent.

Enfin, pour combattre un roi ou un tyran, il est utile de comprendre toutes les règles qui régissent son royaume. Connaissons-nous les règles, les usages du monde des pixels ? Si mal ! C’est la raison pour laquelle, dans le précédent article, je vous invitais vivement à explorer l’univers de l’avenir des pixels. Car il est réellement entre nos mains. .

Il ne tient qu’à nous de nous libérer de la tyrannie du roi Pixel. Et vous quelles sont vos principales sources d’inquiétudes autour des usages numériques ? Que redoutez-vous le plus ?

Rendez-vous la semaine prochaine pour un panorama des façons de réguler l’usage des écrans : vers des solutions pour encadrer nos enfants dans les constellations DézéKran, pour ne plus subir la tyrannie du Roi Pixel !


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