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Être lucide et réaliste par rapport à nos compétences n’est pas toujours facile. Après avoir exploré les quatre phases de l’apprentissage pour prendre conscience des zones de compétences et d’incompétences, partons à la découverte de deux cas opposés : la supériorité illusoire, apanage des incompétents et l’expert qui se perçoit incompétent.

Récemment, une lectrice m’a demandé  : « Mais comment appellerais-tu les compétents qui sont persuadés de leur incompétence ?» . Je ne sais pas s’ils sont officiellement classifiés mais ils sont indéniablement victimes d’un biais cognitif : l’effet Dunning .

Un biais cognitif : l’effet Dunning-Kruger ou effet de surconfiance

Kruger et Dunning, psychologues,  ont mené des études sur la difficulté « des personnes non qualifiées à reconnaître exactement leur incompétence et  à évaluer leurs réelles capacités ». Ils ont ainsi démontré que ceux qui ont le moins de qualifications ou de  compétences sont ceux qui se surestiment le plus. Ça parait logique ; en effet, pour se connecter à son incompétence, il faut avoir un minimum de connaissances sur un sujet et également avoir la capacité à être conscient de ses processus de cognition (comment on fait pour penser].

Pour aller plus loin, cette vidéo Tedx de David Dunning explique les mécanismes à l’œuvre dans cet effet de surconfiance.

4mn 50 en anglais sous-titré en français

Exemple appliqué : le nouvel alternant et les tableaux croisés dynamiques

Explorons un exemple dans le monde de l’entreprise : le cas de la supériorité illusoire d’un nouvel arrivant.
Un manager me racontait récemment l’arrivée de son alternant. Un peu speed, le manager lui avait demandé s’il était capable de réaliser le tableau croisé dynamique afin de pouvoir ensuite analyser les chiffres du service.  L’alternant répondit affirmativement avec un grand sourire. Son responsable lui envoya le fichier, lui demanda s’il avait des questions.
Pas de question.  Le manager repartit dans sa course contre le temps. Trois jours plus tard, à quelques heures de l’échéance, il découvrit horrifié que le jeune n’avait pas avancé, ni même démarré le travail. En creusant un peu, il apparut que l’alternant n’avait pas la moindre idée pour démarrer ce travail et n’avait pas osé déranger son responsable entre ses réunions.

Dans cette histoire, il n’y a pas de mauvaise foi de la part de l’alternant : il s’est cru compétent parce qu’il savait faire une formule sous excel et des tableaux avec de jolies couleurs.
Sauf qu’une formule, ce n’est pas un tableau croisé dynamique. Et qui n’a jamais fait de tableau croisé dynamique ne sait pas quelles sont les compétences requises pour choisir les bons axes de calcul et mettre en place un tel calcul.

Notre nouveau venu est frappé par l’effet Dunning-Kruger ou supériorité illusoire. Il croit, en toute bonne foi,  savoir faire. Ce n’est qu’au pied du mur qu’il réalise l’ampleur de la tâche et le niveau de sa méconnaissance. La suite, ce sont les histoires qui se jouent sous la ligne, c’est ce que cet alternant se raconte, l’empêchant d’être proactif et d’aller dire «en fait, je ne savais pas que je ne savais pas faire ». Savoir qu’on ne sait pas faire demande un niveau de conscience et c’est une réelle compétence !
Nous reviendrons une autre fois sur la compétence du manager en termes d’encadrement et de délégation.

La connaissance du sujet augmente la conscience de l’incompétence

Par ailleurs, l’étude de Dunning et Kruger souligne que plus les gens sont formés, plus ils commencent à réaliser leur niveau de non-connaissance et d’incompétence -sans que le mot ait une connotation péjorative : si  nous n’avons pas appris à faire quelque chose, il est normal d’être encore au stade de l’incompétence.

Autre extrême : l’expert qui se croit incompétent

A l’inverse, l’étude de Dunning-Kruger a montré qu’il y a une tendance, chez certains experts qui disposent de fortes compétences, à croire que les autres connaissent et maitrisent les mêmes choses qu’eux. Ces experts vont donc avoir tendance à se sous-estimer. Parfois, Ils vont jusqu’à oublier qu’ils sont compétents. Ils sont très profondément inconsciemment compétents, au point qu’ils en oublient leur talent. Des études antérieures à celle de Dunning et Kruger tendent à montrer que « l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance »

En formation, « les clés de la confiance en soi », je croise souvent de formidables experts : d’une rigueur constante et d’une compétence hors pair dans leur domaine. Ils arrivent avec une confiance en eux dans les chaussettes. Lorsque je les complimente sur leur travail  ils répondent presque toujours  « mais je fais juste mon travail ». Comme si l’excellence de leur expertise, de leur savoir-faire souvent rare, de leurs qualités uniques étaient d’une plate et banale normalité. Ils ne voient plus leur niveau de compétence. C’est déconcertant !

D’où l’importance, quand on croise ces profils, de leur exprimer des feedbacks positifs pour les ramener en conscience sur leur niveau de compétence et leurs qualités  : ce sont les fameuses marques d’attention positive. – article à venir.

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Deux profils, deux extrêmes. Dans les deux cas le feedback est toujours utile et permet de poser la conscience.

Pour terminer en douceur,  je vous rappelle qu’être inconsciemment incompétent n’est pas une insulte. Nous ne serons jamais omniscients.
En 1974, le grand Gabin nous chantait déjà que plus on avance dans l’expérience, la compétence et l’âge, plus on sait qu’on ne sait jamais.
Un peu de poésie, de douceur et de nostalgie dans l’aridité des articles sur les notions de compétences et de confiance en soi :  Maintenant, Je sais.


REMERCIEMENTS & INSPIRATION

Merci à Nelly pour sa question directe qui m’a inspiré ce billet.
Toute ma gratitude à toutes les manageuses et les manageurs qui partagent leurs agacements dans mon bureau.

ALLER PLUS LOIN

Définition : les biais cognitifs sont des mécanismes de pensée qui poussent le cerveau humain à tirer des conclusions incorrectes. Nous en avons tous.

CRÉDIT IMAGE

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